Toutefois, l’intérêt porté par les politiques publiques aux questions dites
plus spécifiquement de « soutien à la parentalité »,
qui s’est traduit par le développement de dispositifs d’intervention,
date seulement du milieu des années 1990
Par « parentalité », de quoi parle-t-on ?
Une définition institutionnelle a été donnée il y a peu par le Comité national de soutien à la parentalité, signe d’un besoin de précision après plus de dix ans de développement de ces dispositifs : « La parentalité désigne l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent.
C’est un processus qui conjugue les différentes dimensions de la fonction parentale, matérielle, psychologique, morale, culturelle, sociale.
Elle qualifie le lien entre un adulte et un enfant, quelle que soit la structure familiale dans laquelle il s’inscrit, dans le but d’assurer le soin, le développement et l’éducation de l’enfant.
Cette relation adulte-enfant suppose un ensemble de fonctions, de droits et d’obligations (morales, matérielles, juridiques, éducatives, culturelles) exercés dans l’intérêt supérieur de l’enfant en vertu d’un lien prévu par le droit (autorité parentale).
Elle s’inscrit dans l’environnement social et éducatif où vivent la famille et l’enfant »
. Cette définition, fort longue et complexe, montre à la fois l’aspect multidimensionnel du terme (juridique, matériel, économique, culturel, psychologique…), son caractère évolutif qui relève donc d’un processus, et sa finalité, qui est l’intérêt supérieur de l’enfant.
La parentalité renvoie à une certaine conception du rôle de parents et à la place de l’enfant, devenu sujet, dont l’intérêt doit être préservé et le bien-être, assuré
. La parentalité véhicule, à ce titre, des normes, reposant sur des conceptions parfois divergentes de la famille et des objectifs éducatifs qui lui sont assignés
Les actions de soutien à la parentalité ont également été l’objet d’une définition privilégiant « une prévention ‘‘prévenante’’ attentive aux singularités individuelles, sans schéma prédictif, évaluatif ou normatif » .
Cette définition « universelle » s’adresse à l’ensemble des parents, quel que soit le type de famille, et ne vise pas la sanction de « mauvaises » pratiques, faisant ainsi l’objet de deux interprétations divergentes.
Pour certains auteurs, les politiques de soutien à la parentalité sont perçues positivement comme une manière de « réarmer » les parents, face à une transformation des relations entre parents et enfant(s) (comme lors du divorce) afin de préserver la coresponsabilité parentale.
Pour d’autres, au contraire, ces politiques conduisent à la surveillance des parents et de leurs pratiques éducatives, la police de la parentalité , dans la lignée de ce que Jacques Donzelot appelait la « police des familles »
. Prenant appui sur les travaux du champ académique, les articles de ce numéro présentent notamment les résultats de recherches issues d’un appel à projets de la Caisse nationale des Allocations familiales sur la production et la réception des normes de parentalité. Cet appel à projets se basait sur des travaux empiriques et il s’articulait autour de deux axes : d’une part, la production des normes de parentalité, en particulier institutionnelles et familiales, d’autre part, le vécu et la construction normative du rôle de parent, en tenant compte du cadre socioéconomique dans lequel ils l’exercent.
Les articles qui résultent de ces travaux sont complétés par ceux de chercheurs travaillant sur la parentalité dans une perspective institutionnelle afin de mieux saisir les référentiels sur lesquels reposent ces dispositifs.
Le fil conducteur de ce numéro de Politiques sociales et familiales est la question des normes de parentalité prise sous l’angle de la « bonne » parentalité.
Les normes conduisent à établir des règles et des lignes de conduite sur ce qui doit ou devrait être, et à indiquer, en regard, ce qui ne peut être et ne doit pas être.
Comment être un « bon » parent, celui qui assurera le bien-être et l’épanouissement de son enfant ?
Quels sont les critères qui définissent ce « bon » parent ?
Le premier élément de cette « bonne parentalité » est la promotion du soutien à la parentalité par les différentes institutions.
N’est-ce pas une certaine vision de la(des) famille(s) idéale(s) au regard de l’État qui se fait jour ?
Claude Martin s’attache au développement des politiques de parentalité constaté depuis une vingtaine d’années en Europe et à leur diversité selon les pays.
Les institutions européennes ont joué un rôle structurant dans ce développement qui s’inscrit dans un contexte de responsabilisation des individus et des parents.
C. Martin distingue cinq matrices d’idées servant de références différentes selon les pays et pouvant également s’imbriquer :
droits des enfants,
santé publique,
intégration sociale (logique d’empowerment),
exclusion sociale,
pauvreté
La matrice française est proche de l’intégration sociale par la promotion de dispositifs territoriaux, la délégation au monde associatif, une logique d’empowerment des parents (c’est-à-dire des actions pour les aider et les soutenir mais non agir à leur place), et le très faible recours aux programmes evidence-based (programmes validés par des résultats).
Ces particularités françaises sont analysées dans la deuxième partie du numéro par Sandrine Dauphin qui requestionne la politique de la famille en France à l’aune du développement des dispositifs de parentalité.
L’auteure pose des questions de recherche sur quatre axes de réflexion de la politique de la famille :
quel est le sens de l’émergence des préoccupations publiques sur la parentalité ?
Que disent les métiers sur les attendus en matière de compétences parentales ?
Ces dispositifs ne renforcent-ils pas certaines assignations sociales ?
Comment les évaluer ?
La politique de parentalité, dans ses objectifs de responsabilisation des parents, peut être vue comme l’une des formes du familialisme.
En effet, ce dernier renvoie au rôle central de maintien du lien social qui pèse sur la famille.
Fondée sur l’empowerment des familles, ces dispositifs renvoient, pour partie, à des logiques d’activation, renforçant ainsi l’hypothèse d’une politique de parentalité comme levier de l’insertion.
Le deuxième aspect de cette « bonne » parentalité est le poids des experts.
Virginie de Luca Barrusse retrace les nouvelles normes conjugales et parentales qui émergent dans les années 1950 et 1960.
Les débats autour de la régulation des naissances ont conduit des hommes et des femmes à s’exprimer dans les médias sur leurs manières de concevoir la conjugalité et la parentalité.
La mise en lumière de la vie privée et des aspirations de ces hommes et femmes est utilisée par les « experts », personnalités et acteurs reconnus du domaine, pour construire et diffuser des normes sociales, processus de réfraction décrit par l’auteure. Limiter le nombre des enfants et l’intensité du calendrier des naissances a constitué un changement de comportement dans les années 1960, publiquement justifié par la volonté de permettre un meilleur accueil de l’enfant
Elsa Ramos et Pauline Kertudo s’intéressent au cas de l’adoption, emblématique de la norme de la « bonne » parentalité qui transparaît dans les critères d’agrément, et que les futurs parents adoptifs cherchent à manifester afin de l’obtenir.
Les auteures montrent bien les injonctions auxquelles sont soumis les parents adoptifs et le rapport hiérarchique qui s’installe avec les experts de l’adoption.
Parents d’un enfant présenté par les experts comme fragile et « particulier », ils sont accompagnés et suivis dans leur parcours parental.
S’imposent alors aux parents des normes de « disponibilité parentale », de souplesse éducative et de veille permanente pour intervenir dès que nécessaire.
Le professionnel expert se pose en détenteur de la connaissance de ces enfants et de leurs spécificités face à des parents en quelque sorte « apprentis ».
La quête de la « bonne » parentalité se manifeste dans l’intégration des discours savants et des consignes médicales ainsi produits.
Enfin, le troisième aspect de cette « bonne » parentalité est la dimension de la classe sociale.
Si les normes des classes moyennes et supérieures s’imposent dans les modèles familiaux et l’éducation, les classes populaires demeurent sur des identités familiales traditionnelles fortes .
Les professionnels, assistantes sociales, professeurs des écoles, etc., sont eux-mêmes issus de la classe moyenne et porteurs des mêmes normes.
Les familles des milieux populaires peuvent être davantage soumises aux jugements dépréciatifs portés depuis les autres milieux sociaux parce que ne répondant pas aux normes « dominantes ».
L’article de Bertrand Geay sur les normes transmises par les personnels d’accueil des jeunes enfants montre que l’appartenance sociale des professionnels joue sur la manière dont ils interagissent avec les parents.
L’auteur constate que des affinités électives se créent entre les assistantes maternelles agréées et les catégories intermédiaires qui les emploient, des liens plus hiérarchiques se tissent entre, d’une part, les personnels des crèches collectives et le pôle cultivé des classes supérieures et, d’autre part, entre les « nounous » et le pôle économique des classes supérieures.
Les classes populaires privilégient l’entre-soi familial en ne confiant que plus difficilement leurs enfants à un tiers.
Les attendus des parents en matière d’éducation et de socialisation, leur marge d’acceptation, d’adaptation et de négociation avec les prescriptions des professionnels dépendent en partie de leur appartenance sociale.
Martine Sas-Barondeau, en seconde partie du numéro, s’intéresse aux actions sur la parentalité dans le cadre des centres sociaux et à leur réception par les familles.
Ces actions se situent entre deux logiques d’intervention sociale : l’intégration dans les dispositifs financés par les caisses d’Allocations familiales, d’une part, et leur mission « traditionnelle » de développement social local en faveur des familles, d’autre part.
En outre, les publics des centres sociaux sont bien souvent des publics dits « vulnérables », soumis à des contraintes sociales et économiques limitant leur sociabilité.
L’auteure montre ainsi la
difficulté des professionnels, face à un objectif de responsabilisation et d’autonomisation des familles,
qui passe également par l’imposition de normes, de répondre à leurs besoins et possibilités réels d’autant
que la méfiance de ces familles à l’égard des institutions peut être parfois forte.
Sandrine Dauphin
Responsable du département
de l’animation
de la recherche et du réseau des chargés d’étude
Politiques sociales et familiales n° 118 - décembre 2014
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