« Celui qui recueillera un enfant abandonné le portera à l’église où le fait sera certifié. Le dimanche suivant, le prêtre annoncera aux fidèles qu’un nouveau né a été trouvé, et dix jours seront accordés aux parents pour reconnaître et réclamer leur enfant ».1 S’il n’était pas réclamé, on s’adressait aux fidèles, et celui qui le recueillait devait payer en le recevant
Cela nous interroge déjà sur la désignation du bénéficiaire.
On cite aussi, vers 1150 l’importance de l’Ordre du Saint-Esprit fondé à Montpellier par Maître Guy. Celui-ci créa un établissement qui pouvait accueillir jusqu’à 600 enfants.
Après Montpellier, des maisons seront créées par ce même ordre en Italie, en Sicile, en Allemagne, en Espagne…
En France, 100 ans après, on en dénombre, selon une bulle du pape Nicolas IV,
11 en Bourgogne, 3 en Lorraine, 2 dans la Narbonnaise, 2 en Languedoc, 4 en Guyenne, 3 dans la province d’Arles…
« Les registres conservés dans les hôpitaux de Marseille prouvent que, dès le début du XIVe siècle, il existait dans cette ville une organisation poussée de la protection de l’enfant abandonné
Ces textes révèlent un ordre strict des registres d’admission, une comptabilité impeccable des placements . La surveillance de ces placements devait être organisée puisqu’en certains cas on retirait l’enfant à la nourrice qui le soignait mal. Un règlement du 15 juillet 1399 fixait à vingt-deux mois la durée de l’allaitement. On ne sait pas ce que ces enfants devenaient à cet âge, mais on les retrouve plus tard hébergés dans la maison. Les filles étaient dotées, les garçons apprenaient un métier manuel. Quelques-un étaient admis à faire des études spéciales… ».
A Paris le 7 février 1362, plusieurs bonnes personnes allèrent voir l’évêque pour « lui faire entendre la nécessité et misère de ces pauvres enfants qui périssaient de famine et froidure, plusieurs d’eux gâtés de gale et taigne dont ils mourraient misérablement, et les pauvres fille violées de nuit. Ce qui causerait de grands malheurs à la ville s’il n’y était pourvu ».
C’est à la suite de cela que fut fondé l’hôpital des pauvres du Saint-Esprit. Plus tard un arrêt précisera que ces enfants seront habillés de robes et vêtements de drap rouge, ce qui fait qu’on appela vite les enfants, les « enfants rouges ».
Un peu plus loin on créera l’Hôpital des « enfants bleus ». On sait qu’à cette époque le vêtement indique le rang, la fonction, l’appartenance sociale. Ces enfants sont dès lors « désigné ». Et cela va durer longtemps…
La mortalité était effrayante. Elle s’est même accrue au cours du XVII°. Ainsi la mortalité des enfants trouvés avant 1 an passe de 58 à 95% à Rouen, de 54 à 72 % à Caen et de 60 à 84 % au cours du siècle
L’abandon apparaît vite comme le moyen le plus commode de se débarrasser d’un enfant gênant socialement ou qu’on ne peut économiquement assumer. Les registres d’admissions de la Maison de couches ou des Hôtels-Dieu de province montrent un parallèle entre le nombre d’abandons et les crises de subsistance :
Ainsi le nombre d’abandons est-il passé à Paris de 1 759 en 1700
à 2 525 au cours de l’hiver terrible de 1709,
et redescendu à 1698 en 1710.
De même à Lyon, 454 abandons en 1700, 1884 en 1709, et 589 en 1710.
Ce billet d’une mère de Rouen en août 1785 est significatif :
« Je vous la laisse en bon état et vous prie d’en avoir grand soin jusqu’à ce que j’ai gagné un lit pour me coucher, car je couche par terre depuis que je suis sortie de l’hôpital et suis devenue toute enflée de fièvre ».
Ou celui-ci qui se trouve au musée de l’assistance publique
«Monsieur et Madame, ce pauvre enfant se recommande à vos charité ordinaires puisqu’elle n’a ni père ni mère qui la puissent nourrir. Elle est baptisée et s’appelle Marie. Tous trois prieront Dieu pour votre maison »
Jusqu’au milieu du XIX° siècle, la pratique la plus courante pour abandonner son enfant est l’« exposition ». L’enfant est déposé par ses parents dans un lieu public.
D’Alembert est un exemple caractéristique de cette façon de faire : fils illégitime de Madame de Tencin et du Chevalier Le Camus Destouches, il sera trouvé sous le porche de l’église Saint-Jean-Le-Rond et baptisé Jean Le Rond.
Dans d’autres cas, c’est une sage-femme complaisante qui, contre rétribution, se charge de déposer l’enfant à l’hospice des Enfants-Trouvés.
Ainsi, Jean-Jacques Rousseau raconte dans ses Confessions comment il abandonna son premier enfant chez une sagefemme prudente et sûre, appelée Mlle Gouin « chez qui Thérèse Levasseur accoucha et qui conduisit l’enfant à l’hospice des Enfants-Trouvés ».
C’est pour faciliter le recueil de l’enfant que l’usage s’est répandu au cours du Moyen- Âge de placer des « coquilles » ou des berceaux à l’entrée de certaines églises.
C’est ainsi qu’un texte de 1600 nous dit : « Dedans l’église Notre-Dame, à main gauche, il y a un bois de lit qui tient au pavé, sur lequel, pendant les jours solennels, on met lesdits enfants trouvés afin d’exciter le peuple à leur faire charité… Lesdits enfants trouvés sont quelquefois demandés et pris par des bonnes personnes qui n’ont point d’enfants en s’obligeant de les nourrir et élever comme leurs propres enfants ».
Le Secret
Dans le même sens, s’est développé l’usage du « tour ». Le tour est une sorte de tourniquet placé dans le mur de l’hospice qui permettait le dépôt anonyme et le recueil secret de l’enfant.
On trouve les premières traces d’un tour à Milan en 787.
Il devint ensuite officiel à Rome en 1741 selon Alcindor, ou même dès 1168 selon d’autres auteurs. Le tour n’est pas créé, ainsi que le précise le règlement du tour d’exposition de Bordeaux en 1717, « pour inviter les père et mère à abandonner, mais seulement dans l’esprit de charité, pour conserver les enfants et empêcher l’exposition dans les rues et places publiques ».
Lamartine voyait dans ce système qui permet « d’abandonner un enfant sans que l’on puisse distinguer le visage de la mère pécheresse… » une ingénieuse invention de la charité chrétienne, « ayant des mains pour recevoir, mais pas d’yeux pour voir, ni de bouche pour parler ».
L'abandon est cependant considéré comme un acte répréhensible et dans bien des villes, la mère qui expose l’enfant risque des peines (fouet, amende honorable, bannissement).
Peines moins lourdes, cependant, qu’en cas d’avortement, qui peut entraîner la peine de mort.
Ainsi que l’écrit le procureur auprès du parlement de Toulouse à son substitut en 1776 : « Si l’exposition est un crime qui ne mérite aucun pardon, il est des cas où on doit fermer les yeux sur certains maux pour en éviter de plus considérables… On fait sagement de s’imposer silence, de crainte qu’un excès de rigueur n’engage les personnes qui seraient dans le cas de tomber dans de pareils délits, de se mettre à l’abri de toute poursuite en étouffant les enfants, en les précipitant dans les puits, les rivières ou les latrines. L’exposition ne mérite donc pas de poursuite… ». La possibilité d’abandon secret a certainement permis que de nombreux enfants non désirés gardent la vie. Il faut savoir, en effet, qu’à Paris, seul endroit où l’on ait des statistiques précises publiées, le nombre d’abandons passe de 3000 par an entre 1640 et 1649 à 17 000 entre 1710 à 1719.
Le pourcentage d’enfants trouvés par rapport aux naissances atteindra 40% en 1771- 1772, puis se stabilisera à 33-34% à la veille de la Révolution .
Un enfant, sur trois qui naissaient, était abandonné.
Aujourd’hui, avec 350 accouchements sous x par an, c’est 1 pour dix mille.
L’instauration du tour va susciter de nombreuses polémiques.
Il va multiplier les abus qu’on avait voulu supprimer :
- à Montreuil, un sourd muet de 17 ans fut introduit dans le tour ;
- à Nîmes, une nourrice avait reçu un enfant de l’hospice ; elle alla le déposer dans le tour voisin d’Alès pour le reprendre ensuite et toucher double salaire - à Dunkerque, une femme employée de l’hospice y avait déposé ses trois enfants ; - à presque partout des sages-femmes faisaient métier de déposer les enfants au tour et de découvrir ensuite dans quelles mains ils passaient ; - à Sedan, à Steney il en venait un grand nombre de Belgique où le tour n’existait pas. Il fallut fermer le tour. Même chose à Metz ; - il y avait aussi des meneurs qui, contre rémunération, amenaient des enfants au tour, par exemple à Lyon.
Le tour a été rendu obligatoire par le décret de 1811 en ces termes « dans chaque hospice destiné à recevoir les enfants trouvés, il y aura un tour où ils devront être déposés »
Tout au long du XIX° auront lieu des débats autour du tour :
ƒ Ses partisans, autour de Lamartine, ƒ Ses détracteurs, Victor Paul, inspecteur des enfants trouvés, Boicervoise, diront qu’ils encouragent la dépravation « ils portent un préjudice très grave à la morale publique, puisqu’ils persuadent les mères qu’elles sont libres de s’affranchir des devoirs de la maternité »
. D’autres arguments, tout à fait actuels, car ce débat, nous l’avons toujours à propos de l’accouchement sous x, feront progresser les mentalités. Ainsi Le Vicomte de Melun dénonce le caractère irréversible du tour :
« C’est un gouffre, dit-il dans les Annales de la Charité de 1845, une oubliette
A cause de l’anonymat, la mère ne pourra jamais revenir sur son geste et son enfant est à jamais privé d’identité et d’état civil ».
BALZAC -Le Colonel Chabert-1832
Enfin, les tours auraient contribué au développement de trafics plus ou moins louches, tels ceux des collecteurs d’enfants parcourant les campagnes
Intervention de Pierre VERDIER
aux journées d’études de l’ANPASE
Hyères le 14 octobre 2003
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